Test Blu-Ray : Apocalypto

Publié le par la Rédaction



Mel Gibson reste l'un des cinéastes les plus controversés de ces dernières années. L'acharnement médiatique entourant l'ensemble de ses films qu'il s'agisse de La Passion du Christ ou encore d'Apocalypto suffit à exposer l'idée que ce réalisateur se démarque sur la scène cinématographique. Une critique est d'ailleurs récurrente : ses films seraient outrageusement violents, insupportables, certains allant à accuser l'homme de disposer d'un goût pour le masochisme en regard à la violence dont sont composés ses deux voir trois derniers films. En bref, Gibson et ses films font « peur »…unanimement ! (enfin presque…)

Apocalypto se révèle pourtant une œuvre cinématographique et artistique au sens pur du terme à découvrir aujourd'hui en haute définition. On assiste tout d'abord à une démesure de la représentation et de la restitution du peuple Maya. L'œuvre est donc avant tout visuelle. Apocalypto s'appuie également sur un sujet historique : cette civilisation ancienne, et nous expose une vision à la fois mythique et réaliste de sa disparition. Mais l'œuvre ne se limite pas à un simple sujet documentaire ni éventuellement religieux. Elle frappe le spectateur moderne et occidental par la vision prophétique, et radicale que dépeint Mel à l'égard d'une civilisation maya dont les similitudes avec notre société moderne, sont à la fois frappantes, explicites, et finalement inquiétantes.

Ce Blu-Ray Disc, commercialisé uniquement sur le marché américain pour le moment, mais multizone, est-il lui-même une réussite ?

Notre test complet d'Apocalypto en Blu-Ray Disc.

Caractéristiques

Vidéo : Transfert 1080p MPEG 4 VC1
Audio : Yukatek en PCM 5.1 et Dolby Digital 5.1
Sous-titres : Anglais / Français / Espagnol
Bonus : Commentaire audio, Making Off, Scène supprimée, et Movie Showcase

Résumé


L'histoire se déroule durant la période précédent la disparition de la civilisation Maya. Patte de Jaguar vit avec sa tribu en plein cœur de la forêt lorsque tous ses membres en viennent à être capturés par les hommes venus de la Cité Maya. Une longue descente aux enfers est entamée pour Patte de Jaguar, qui a laissé sa femme et son enfant en pleine forêt. Mais cette cité est profondément corrompue par son fonctionnement et ses inégalités apparentes. Pour y rétablir la paix, les hommes capturés sont mis en sacrifice aux Dieux. Patte de Jaguar aidé par son destin, parvient à s'enfuir de cette cité régie par l'oppression. Une longue chasse à l'homme est entamée quand survient un élément véritablement inattendu : des navires venus d'un autre monde.

Outre une histoire s'inspirant de faits historiques et mythologiques, Apocalypto est une véritable peinture animée nous plongeant littéralement au sein d'une civilisation disparue. L'œuvre choque par une mise en scène démesurée. Il s'agit également d'une vraie métaphore destinée à nous éclairer sur la nature finalement corrompue de l'homme et des grandes civilisations amenées historiquement et inéluctablement au déclin.

Le sacrifice chez Mel Gibson


On ne peut pleinement comprendre les trois dernières œuvres de Gibson (Braveheart, La Passion du Christ, et Apocalypto) sans retourner à la vision qu'a dépeinte de l'homme et de la violence ou plutôt du sacrifice (exécution héroïque de William Wallace, crucifixion du Christ, sacrifice en masse des Mayas) de l'anthropologue René Girard. Ce dernier fut lui-même très controversé puisqu'il a lui même dépeint une vision du désir humain et du sacrifice assez particulière et finalement au cœur de la vision de Gibson. L'hypothèse de ce chercheur est finalement plutôt simple. L'homme se distingue des autres espèces animales par un désir dit mimétique. L'homme désire imiter son semblable. C'est parce que l'être que l'homme a pris comme modèle désire un objet que l'homme se met à désirer celui-ci. En somme, l'objet n'a de valeur que parce qu'il est désiré par un autre, et ce désir mimétique entraîne par nature la génération de conflits. Finalement, c'est la nature de l'Homme qui est en fait elle-même corrompue.

Les animaux se sont approchés de l'Homme et ont dit : "Nous n'aimons pas te voir triste, Demande ce que tu veux et tu l'auras."
L'Homme a dit : "Je veux de bons yeux." Le Vautour a répondu : "Tu auras les miens"
Puis l'Homme a dit : "Je veux être fort!" Le Jaguar a dit : "Tu auras ma force".
Puis l'Homme a dit : "Je veux connaître les secrets de la terre." Le serpent a répondu : "Je te les montrerai". Ainsi ont répondu tous les animaux...


Mais le hibou a répondu : "Non, j'ai vu un vide dans l'Homme...immense comme une faim impossible à rassasier...C'est ce qui le rend triste et vorace. Il va prendre et toujours prendre jusqu'à ce qu'un jour, le Monde dise :"Je ne suis plus et je n'ai plus rien à donner"

Ce conflit, se généralisant à l'échelle d'une société se doit d'être collectivement résolu pour que celle-ci existe et perdure. Une manière ainsi de résoudre un tel conflit pour une société et ses dirigeants consistera à inciter ses membres à s'accorder sur l'origine même de ce dernier. Vient ici l'idée de la victime, l'innocent, le bouc-émissaire à sacrifier. C'est par le sacrifice qui acquiert dans cette mesure une dimension sacrée qu'une société parvient à rétablir pour un moment la paix.

Cette remarque s'appliquera tant à La Passion du Christ de Gibson (Pilate se voit dans ce film dans l'obligation d'ordonner la crucifixion du Christ non pour répondre à une volonté manifeste des juifs, mais pour rétablir l'ordre public d'une société entière visiblement en grand désordre), qu'à Apocalypto au sein duquel les pauvres ruraux sont sacrifiés en haut d'une pyramide pour satisfaire à la fois les exigences d'une société mourante, en mal d'équilibre et celles de ses dirigeants toujours en quête d'une forme de légitimité et de pouvoir sur le peuple (celle-ci s'effectuera par la manipulation de la foule clairement mise en relief dans ce film lors de la fameuse éclipse solaire). C'est la raison pour laquelle le sacrifice présenté chez Gibson dispose toujours d'une dimension sociale, sacrée et finalement cruelle pour le spectateur toujours attaché grâce au génie de ce réalisateur au point de vue de la victime.

"Ce sont des jours de grandes lamentations. La terre a soif. Une terrible peste a infecté nos récoltes. Le fléau de la maladie nous frappe au gré de son caprice. On dit que ces déchirements nous ont affaiblis, que nous sommes diminués, que nous pourrissons. Grand peuple de la bannière du soleil. Je dis que nous sommes forts ! Notre peuple a été choisi...Puissant Kukulkan ! Dont la fureur pourrait réduire cette terre à néant...laisse-toi apaiser par ce sacrifice. Pour exalter ta gloire et rendre la prospérité à ton peuple !"

Un Peuple : Deux Styles


Au sein d'Apocalypto, deux sociétés nous sont ainsi présentées opposées par leur manière de gérer ce désir proprement humain. L'une a pleinement conscience de l'existence de ce désir et s'en protège par une vie simple, sans artifice, ni richesse ; l'autre par son fonctionnement même (extrème hiérarchie sociale, forte différenciation des membres et échange marchand), en est victime et se voit dans l'obligation de réaliser de multiples sacrifices pour continuer d'assoir un relatif équilibre.

La vision que dépeint visuellement Gibson de la civilisation maya est ainsi fortement marquée par cette opposition de style : vie rurale, vie urbaine.

A la richesse colorimétrique des scènes urbaines, s'opposera certes l'uniformité des couleurs de la société rurale.

A la quasi nudité des ruraux, s'opposera aussi la variété des styles, objets, scarifications et éléments vestimentaires des urbains. Ces derniers sont d'ailleurs parfaitement hiérarchisés (les plus riches, en haut de la pyramide, sont aussi les plus richement décorés et habillés).

Mais à l'humour, la joie de vivre, les plaisanteries, et la cohésion sociale de la vie rurale, s'opposeront surtout les multiples conflits des urbains (où les femmes crachent en riant aux mendiants, où les hommes vendent aux enchères les esclaves capturés, où l'on se bat lorsque des pièces de monnaie tombent à terre, où l'on n'hésite pas à voler sur le marché et où les pauvres jettent un regard froid aux classes plus distinguées).

La violence se révèle ainsi finalement on ne peut plus organisée, répandue car trouvant une origine sociale : les nombreux éléments rituels, gestes et dances de foule précédant l'exécution sont d'ailleurs de simples exemples d'une violence éminemment collective et subtilement présentée. Les boucs-émissaires sont finalement remerciés et salués par la foule. Leur sacrifice se justifie par le fait qu'ils apaiseront symboliquement une société en crise.

Une vision radicale de l'homme et de la société


Gibson aurait pu s'arrêter là et nous présenter finalement en quoi une civilisation est conduite par son fonctionnement même nécessairement au déclin. Mais l'auteur y ajoute également une sévère critique à l'égard de notre propre société contemporaine. Le geste symbolique s'effectuera à la fin du film. Lorsqu'une civilisation moderne débarque avec de nombreuses caravelles pour conquérir ce nouveau monde et offrir une aide à ces peuples détruits de l'intérieur, Jaguar répond à sa femme préférer la forêt à l'aide des nouveaux envahisseurs, leur tournant ainsi le dos.

Le héros n'a finalement pas confiance en la nouvelle civilisation débarquant et Gibson, en mettant fin à ce film de cette manière, effectue ici un lien symbolique des plus forts entre la civilisation maya en décadence qu'il a traité tout au long de cette chasse à l'homme, et notre civilisation moderne et occidentale elle-même touchée objectivement par les mêmes vices et finalement menacée d'extinction. En somme, devant l'échec des civilisations d'offrir à l'homme les éléments nécessaires à son épanouissement, Gibson préfère vanter les mérites de la famille, dans son modèle traditionnel.

Le réalisateur aborde donc la violence dans une dimension des plus sacrée. Elle n'est jamais associée à une catégorie de population spécifique (les juifs accuseront Gibson de dépeindre une vision antisémite de la Passion, et les mexicains accuseront le réalisateur d'associer leurs ancêtres à des violents sanguinaires). Elle trouve son origine dans la nature même de l'homme. Apocalypto débute par une chasse au gibier en pleine jungle ; le film se clôture sur une chasse à l'homme tout aussi crue ; c'est la nature même de l'homme qui est ciblée ("J'ai vu un vide dans l'Homme...immense comme une faim impossible à rassasier!") Ainsi, La violence des films dérange par le fait que le réalisateur la peint dans sa dimension sociale et finalement sacrée, là où de nombreux films hollywoodiens la banalisent.

Pour ce faire, Gibson exploitera tous les artifices qu'il maîtrise à merveille (prises de vues subjectives, attachement aux personnages-victimes, sacralisation de la souffrance, dualité des valeurs, récit à l'atmosphère mythologique, et bande musicale à l'ambiance religieuse). Apocalypto se révèle ainsi un film que l'on pourrait qualifier de « visuel » voir « muet », où quasiment la seule mise en scène suffit à exprimer les émotions et les idées.

Une qualité technique irréprochable


Vidéo

Tourné principalement à l'aide de caméras numériques haute définition (Panavision) et 35 mm, Apocalypto est sur le plan visuel une référence peut-être à ce jour inégalée. D'une part, parce que le réalisateur Mel Gibson a un souci, un sens, et sans aucun doute une maladie du réalisme, et de la représentation. La civilisation maya dépeinte ici est restituée sur le plan visuel d'une manière étonnante avec un style documentaire voir anthropologique hors pair. Gibson est certainement devenu le maître moderne de la mise en scène et de la restitution historique.

Les prises de vues sont multiples et variées. Mel alterne prises de vue subjectives, aériennes, gros plan, mouvements à nous faire perdre la tête. D'ailleurs, Gibson s'amuse de ce sens de la restitution en nous plongeant littéralement en plein cœur des mayas en passe d'être exécutés. Le spectateur devient l'homme à exécuter, l'homme pourchassé, l'homme tué ! La caméra est à la place de la tête du Maya à décapiter.

D'autre part, parce que ce souci de réalisme est subjugué par un niveau de détails proprement splendide. Apocalypto est riche en détails visuels : les nombreux gros plans mettent en avant la richesse des scarifications des personnages et un maquillage parfait. Les scènes de nuit, éclairées par un seul feu de bois nous plongent en plein cœur d'une vie rurale. Les scènes de rituels, riches en couleurs, bénéficient d'un rendu envoutant. Les couleurs sont saturées, un aspect renforcé par une ambiance ensoleillée des plus chaudes. En bref, ce Blu-Ray Disc est un chef d'œuvre visuel. Cette version d'Apocalypto disposait également d'un master de très haute qualité. Contours tous soignés, détails nombreux, palette colorimétrique plus que variée : Apocalypto restera une référence pour les amateurs de haute définition.

Audio

L'aspect sonore n'est pas en reste. Certes Buena Vista ne nous offre pas le choix : mais la piste proposée est irréprochage. Du PCM 5.1 non compressée pour une version plus qu'originale en Yukatek. Ce choix confère un vrai degré de réalisme à ce film dépeignant la civilisation maya. On profite d'une bande musicale toujours soignée signée James Horner déjà présent sur Braveheart, le second film de Mel Gibson. Les détails sonores sont nombreux : on est plongé dès les premiers instants au sein de cette jungle d'Amérique latine. Surtout, les percussions, avec leur dynamique et leur intensité progressive, nous entrainent progressivement en haut de cette pyramide de toutes les peurs qui marquera nos représentations collectives de telles pratiques sacrificielles à jamais.

Bonus et Conclusion


Les bonus proposés au sein de cette édition sont classiques. On y retrouve dans un premier temps un commentaire audio du réalisateur accompagné du scénariste Farhad Safinia. Beaucoup d'éléments sont ici abordés : souvenirs de tournage, explicitations de certaines scènes, rappels historiques et mythologiques, et aussi prises d'interrogations sociologiques. Gibson n'hésite pas à porter des interrogations lourdes de sens, et à corriger les critiques cherchant à accuser Apocalypto de non respect historique. Est abordé également le travail de restitution dont on doit en partie la qualité à Dean Semler, connu avec Danse avec les loups. Le tout s'effectue surtout dans la bonne humeur.

Important supplément : le making-off. D'une durée approximative de 25 minutes, ce document nous permet de plonger au sein des coulisses de cette grosse production. On y retrouve interview du réalisateur, documents du tournage. Sont passés en revue différents éléments dont le plus important restera le travail de restitution. Sont mis en exergue : maquillage, reproduction des décors, casting plutôt particulier. Dommage qu'aucun sous-titrage FR ne soit proposé pour l'ensemble des bonus.

Deux autres petits éléments viennent clôturer cette édition Blu-Ray Disc. Une scène supprimée au montage final sans réelle valeur, et une option movie showcase permettant d'accéder aux scènes les plus spectaculaires du film : une initiative qui permettra aux utilisateurs d'assurer des démonstrations rapides de leurs installations Home-Cinema.

Au final, cette édition Blu-Ray se veut pour le moins réussie. Malgré le contexte toujours à polémique des films réalisés par Mel Gibson, on ne peut être qu'en admiration devant le travail de restitution d'une civilisation ancienne, qui montre que ce réalisateur a un sens très profond de la mise en scène. Seul le reste pourra peut-être être débattu…